Les déboires de la banque spécialisée dans le financement des entreprises de la tech ont fait chuter les valeurs des grandes banques américaines et européennes en Bourse jeudi.
Léger vent de panique sur les marchés. La soudaine déroute de la Silicon Valley Bank (SVB), fermée vendredi par les autorités américaines, a perturbé tout le secteur bancaire en Bourse, les marchés s'interrogeant sur les conséquences de ce qui représente non seulement la plus grande faillite bancaire aux États-Unis depuis la crise financière de 2008 mais aussi la deuxième plus grosse défaillance d'une banque de détail outre-Atlantique.
Faut-il pour autant craindre une contagion généralisée, avec des faillites en cascade? Pas vraiment, à en croire les spécialistes. Explications.
• Que s'est-il passé?
Inconnue du grand public, la banque californienne SVB, 16e banque américaine par la taille des actifs (209 milliards de dollars fin 2022), est spécialisée dans le financement des entreprises de la tech. Depuis quelques mois, ce secteur rencontre des difficultés qui réduisent la capacité de ses acteurs à réaliser des levées de fonds, d'autant plus dans un environnement marqué par un resserrement des politiques monétaires des banques centrales.
C'est dans ce contexte que les clients de SVB ont massivement demandé à récupérer leur argent. Problème: la banque n'était pas en mesure de répondre à cette forte demande de retraits.
Pour éviter de faire face à une crise de liquidités, elle a annoncé mercredi soir qu'elle allait chercher à lever rapidement du capital, sans y parvenir, et vendre pour 21 milliards de dollars de titres financiers, mais en perdant 1,8 milliard de dollars au passage.
• Quelles conséquences?
Cette annonce, quelques jours après la liquidation de Silvergate Bank, un établissement surtout présent dans les cryptomonnaies, a surpris les investisseurs et a ravivé les craintes sur la solidité de l'ensemble du secteur bancaire, notamment avec la rapide montée des taux d'intérêt qui fait baisser la valeur des obligations dans leurs portefeuilles.
De quoi déclencher un mouvement de panique sur les marchés où les quatre plus grandes banques américaines ont perdu 52 milliards de dollars jeudi.
Dans leur sillage, les banques asiatiques et européennes ont également flanché. A Paris, Société Générale a perdu 4,49%, BNP Paribas 3,82% et Crédit Agricole 2,48%. Ailleurs en Europe, la banque allemande Deutsche Bank a lâché 7,35%, la britannique Barclays 4,09% et la suisse UBS 4,53%.
À Wall Street, les grandes banques se sont ressaisies vendredi après la déroute de la veille: JPMorgan Chase prenait à la mi-séance 2,3% tandis que Bank of America et Citigroup évoluaient près de l'équilibre. Des banques régionales étaient en revanche plus dans la tourmente, First Republic et Signature Bank lâchant par exemple chacune 23%.
Face à l'incapacité de SVB à faire face aux retraits massifs de ses clients, les autorités américaines ont pris officiellement possession de la banque vendredi et en ont confié la gestion à l'agence américaine chargée de garantir les dépôts (FDIC).
Dans la foulée, la cryptomonnaie USDC, dite "stable" car théoriquement indexée sur le dollar, a été chahutée après que son créateur, Circle, a révélé sur son compte Twitter, que 3,3 milliards de dollars de ses avoirs étaient encore dans les caisses de SVB, inaccessibles en l'état, la FIDC ne garantissant les dépôts qu'à hauteur de 250.000 dollars par client et par banque.
• Faut-il craindre une nouvelle crise bancaire?
Pour les experts du secteur, la disparition en à peine deux jours de SVB ne devrait avoir que des conséquences limitées pour le secteur bancaire. Auprès de l'AFP, Stephen Innes, analyste de SPI Asset Management, se veut rassurant, estimant "faible", dans une note, le risque "d'un incident de capital ou de liquidités parmi les grandes banques". "Le bilan de ces grosses banques n'est pas du tout le même" que celui de SVB, a confirmé sur BFM Business Diane Neuville, analyste chez ODDO BHF.
Les problèmes rencontrés par la banque "sont très spécifiques" et ne sont pas de nature "à affecter l'ensemble du secteur bancaire, encore moins les grandes banques", abonde Ken Leon, analyste pour le cabinet CFRA.
De fait, depuis la crise financière de 2008/2009 et la faillite de la banque américaine Lehman Brothers, les banques doivent donner des gages renforcés de solidité à leurs régulateurs nationaux et européens. Elles doivent par exemple justifier d'un niveau minimal de capital plus important destiné à éponger les éventuelles pertes.
Pour les analystes de Morgan Stanley, "les pressions de financement auxquelles la SVB est confrontée sont très particulières et ne doivent pas être considérées comme la norme pour les autres banques régionales". "Je crois qu'on est sur quelque chose de plutôt isolé. Et il ne faut pas oublier ce que les banques centrales, entre la crise des subprimes et aujourd'hui, sont devenues, les instruments d'action assez massifs qu'elles ont développés, leur coordination... On n'est plus dans le monde de 2008", indique sur BFM Business Frédéric Farah, économiste, enseignant-chercheur affilié au laboratoire Phare de la Sorbonne.
La secrétaire américaine au Trésor, Janet Yellen, a ainsi estimé vendredi que le secteur bancaire restait "résilient". Une des conseillères économiques de la Maison Blanche, Cecilia Rouse, a pour sa part souligné que le secteur était "fondamentalement différent de ce qu'il était il y a dix ans". Pour Éric Compton de Morningstar, les déboires de SVB rappellent cependant "qu'il peut être très difficile de prévoir" comment les risques liés aux niveaux de liquidités peuvent évoluer au cours d'un trimestre et "quand ils peuvent se matérialiser".
La perte engendrée par la vente des titres financiers de SBV a aussi remis en lumière le risque que la montée des taux d'intérêt opérée depuis un an par la banque centrale américaine pour tenter de lutter contre l'inflation, fait peser sur les banques. D'un côté, les banques en profitent car cela augmente leurs revenus issus des intérêts sur les prêts qu'elles consentent. Mais cela augmente aussi les taux auxquels elles empruntent elles-mêmes et affecte "la demande pour les prêts", ajoute-t-il.
Par ailleurs, la montée des taux abaisse mécaniquement la valeur des obligations détenues par les banques. La FDIC a récemment prévenu que leurs pertes potentielles à cet égard s'élevaient actuellement à 620 milliards de dollars. Mais il n'y a pas de raisons a priori pour que les grandes banques, qui ont des dépôts "amplement suffisants" provenant "de sources diversifiées", se voient obligées de vendre à perte des obligations avant qu'elles arrivent à terme, remarque Ken Leon.
• Quel impact pour le secteur de la tech?
Si les conséquences pour le secteur bancaire sont limitées, la faillite de SVB fait craindre une onde de choc dans le secteur technologique alors que plusieurs start-up ont vu leurs fonds déposés auprès de la banque être bloqués.
SVB se targuait d'avoir pour clients "près de la moitié" des entreprises technologiques et des sciences du vivant financées par des investisseurs américains. La mise en liquidation ordonnée de la banque va leur permettre de récupérer jusqu'à 250.000 dollars par client, soit le maximum garanti par la FDIC. Mais, selon le rapport annuel de SVB, la partie des dépôts non assurée se montait à environ 96% du total des 173 milliards de dollars confiés à l'établissement.
La FDIC a indiqué vendredi que la restitution de ces fonds dépendrait des montants récupérés de la vente des actifs de la banque, un processus souvent long et au produit incertain. "Les vraies victimes de la chute de SVB sont les déposants: des start-up de 10 à 100 employés, qui ne peuvent plus verser de salaires, vont devoir mettre des gens au chômage technique ou licencier dès lundi", a réagi, sur Twitter, Garry Tan, PDG de Y Combinator, incubateur de jeunes sociétés.
"D'ici un mois ou deux, on aura anéanti une génération de start-up américaines", a prévenu le dirigeant. "Ce sont des années d'innovation américaine qui sont en jeu".
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Author: Derek Anderson
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